Depuis une décennie, les marques sont devenues des médias en interaction avec des médias traditionnels et les médias, qu'ils soient nouveaux ou traditionnels, exploitent du contenu pour fidéliser une audience dans le but de la "monétiser" comme disent, en très mauvais français, les marketeux et les vendeurs d'espace publicitaire. Or, il se trouve qu'il y a un effet de vase communicants entre la crédibilité du contenu et celle de la marque, donc entre la crédibilité du contenu et le capital d'une marque.
Lorsque je cherche à animer une (nouvelle) marque et à lui permettre d'établir des liens, un dialogue avec un public d'où seront issus directement ou indirectement ses clients, je m'attache à choisir des contenus en accord avec la plateforme de marque, son identité et ses valeurs clés, pour emporter l'adhésion d'un public cible en les diffusant via les différents réseaux de communication de la marque ou affiliés à la marque. Dans ce cas, la qualité, la crédibilité et la pertinence des contenus vont venir alimenter le capital marque auprès d'une audience plus ou moins bien définie, de manière à permettre une prise de parole de la marque à un coût plus ou moins maitrisé. Ainsi, plus le contenu sera pertinent et de qualité pour l'audience visée, plus le capital marque sera consolidé et augmenté auprès de cette population et de tous ceux qu'elle influence. Il y a donc bien une "transmission" de capital confiance du contenu vers la marque.
Mais que se passe-t-il lorsqu'un média disposant d'une marque reconnue par un public diffuse des contenus, qu'il s'agisse d'infos, de musique, de textes, d'images ou de films? Dans ce cas, le capital marque du média viendra crédibiliser le contenu qui n'est pas nécessairement connu du public. Lorsque ce contenu s'avère conforme à la promesse de la marque, cohérent par rapport à ses valeurs, compatible avec les histoires de marque, il y a un effet mutuellement renforçant de la qualité du contenu et du capital marque. Ainsi par exemple, lorsque France Inter est partenaire d'un film ou d'un album musical, il y a un effet mutuellement bénéfique à la marque France Inter et au contenu diffusé, si ce contenu s'avère conforme aux valeurs clés de la marque France Inter, qui se veut indépendante (mais pas au point de s'exclure du système), analytique (mais pas au point de larguer son audience), impertinente (mais pas au point de s'aliéner les influents), originale (mais en restant dans les codes reconnaissables du grand public)... Par contre, lorsqu'un média établi, qui dispose d'un capital marque auprès d'un public, se lance dans une course quantitative à l'augmentation de son trafic, des clics et des réactions diverses sur ses forums sans jamais s'interroger sur la cohérence entre les contenus diffusés et ses valeurs de marque, son storytelling de marque, il y a un transfert de crédibilité entre la marque et le contenu où le capital marque se trouve ponctionné pour crédibiliser un contenu qui ne peut être crédible en lui-même, le contraste entre le caractère intrinsèquement non-crédible du contenu et le capital marque média étant le facteur le plus important dans le fait que le public réagisse, clique, commente et manifeste tous les signes extérieurs d'un engagement quantitativement mesurable. Mais que se passe-t-il en réalité? En réalité, le capital marque se trouve amoindri par le fait qu'il ait été exploité pour crédibiliser un contenu de faible qualité ainsi que par la désaffection naturelle que génère le contraste entre plateforme de marque et contenu diffusé. Ainsi, pour l'audience cible désirable on se trouve dans une dissonance cognitive entre ce que la marque promet et ce que le contenu manifeste. Ainsi, lorsqu'un grand quotidien national ou une chaîne audiovisuelle réputée diffuse du contenu scandaleux provocant ou racoleur dans le but de générer les niveaux quantitatifs d'audience et de clics, le capital marque du média se trouve entamé alors que la crédibilité faciale de l'info se trouve renforcée, jusqu'au moment où des concurrents, voire une frange de l'audience qui vérifie ce qu'elle reçoit de ses médias, démontent le contenu diffusé, introduisant ainsi un doute dans l'esprit de l'audience quant à la cohérence entre valeurs de marque et manifestations de la marque via le contenu diffusé. A la longue, la marque média perd l'audience qu'elle devrait avoir comme "fans", gagne une audience instable qui n'accorde pas beaucoup d'importance à sa relation avec la marque et se trouve donc emportée dans une chasse à l'échalote dans laquelle elle finira par se perdre. Le capital marque se trouve donc dilapidé, converti d'un stock de confiance (soit ce que vaut la marque aux yeux de son public en termes quanti aussi bien que quali) en un flux de trafic; il y a donc transformation d'une valeur-capital de long terme en une quantité finie et temporaire de valeur monétaire.
Dans le secteur des médias dits de masse, le question des valeurs de la marque média dans l'esprit des gens et non dans l'imagination des dirigeants du média en question, devrait être au centre de toutes les considérations d'organisation des axes rédactionnels et d'exploitation économique, puisque la marque média est bien le seul actif susceptible de fédérer les équipes de la rédaction, responsables du coeur de mission du média - donc, de sa crédibilité, de sa performance en termes de recherche, de traitement et de diffusion de l'info - et les marketo-commerciaux, responsables de la performance économique du média.