2021-02-04

Au-delà de la simple numérisation

Ici nous allons revenir sur un aspect fondamental de la transformation digital, à savoir le fait qu'il ne s'agit pas de simple numérisation et encore moins d'informatisation; du moins si on cherche à tirer tous les avantages de la révolution numérique et si on veut véritablement adapter l'entreprise aux nouvelles réalités économiques auxquelles le digital donne naissance tous les jours.


Souvenez-vous comment le monde de la presse a pu subir l'avènement du digital dans la première décennie de ce siècle et pourquoi le simple fait de rendre accessible en ligne le contenu imprimé sur le papier ne pouvait pas constituer une réponse. Alors nous avions une remise en cause intégrale de toutes les manières habituelles de travailler dans cette partie de l'économie:

  • le rôle des journalistes était appelé à évoluer puisque l'on avait l'émergence des blogs et des plateformes de self-publishing, avec des affirmations un peu hâtives sur l'inutilité supposée des journalistes quand n'importe lequel d'entre nous pouvait faire le travail de sourcer de l'information et de publier son article. L'avenir devait donner tort à tous ceux qui imaginaient un monde de médias totalement participatifs sans plus aucune sorte de structure traditionnelle pour les porter voire pour les contrôler
  • à l'époque on a pu reprocher à certains titres de presse de l'être quand ils oubliaient de couvrir des affaires compromettantes pour leurs actionnaires de référence ou leurs amis industriels. Vint alors l'époque des journaux 100% participatifs comme Agoravox qui devaient annoncer la rupture avec le monde d'avant médiatique
  • toujours à la même époque et dans les années 2010-2015 il a été question de savoir ce que pouvait vouloir dire le bouclage d'un journal du soir dont le contenu partait sur des rotatives pour que sa version papier soit distribuée le lendemain après midi alors que dans l'intervalle blogs et autres nouveaux médias avaient déjà couvert l'essentiel des nouvelles et que le public avait réagi en de multiples commentaires plus ou moins qualitatifs. Le métier de journaliste lui-même allait changer dans sa pratique quotidienne et nous allions basculer vers cette idée de publication en continu avec toutes les problématiques de coexistence du papier et des supports numériques, site, flux, applications mobiles...etc On se souviendra d'ailleurs de cet incroyable pantalonnade que fut l'initiative Copiepresse en Belgique, qui n'était rien d'autre qu'un mauvais combat d'arrière garde dans lequel se consumaient des groupes de presse pendant qu'au Royaume-Uni le Guardian et aux Etats-Unis le New York Times inventaient la presse de demain en réalisant combien Internet était une plateforme de convergence médiatique et non un nouveau support de publication

Vous le voyez bien dans ces exemples pris dans l'univers de la presse écrite et de sa pénible et douloureuse transition digitale, les enjeux vont beaucoup plus loin et touchent bien plus profondément le fonctionnement des organisations concernées qu'une simple informatisation ou une numérisation des supports. Pour le dire autrement la numérisation n'est pas la transformation digitale; ici l'Anglais est plus riche que le Français puisqu'on y peut distinguer digitization de digitalization. Le premier terme renvoyant à une simple translation d'une chose dans sa forme connue vers une sorte d'équivalent numérique, un peu comme quand on pense la publicité en ligne comme des panneaux publicitaires sur un écran d'ordinateur, alors que le second, indique une remise en cause de la forme de la chose pour l'adapter aux réalités techniques et aux pratiques d'usage de l'espace numérique, comme par exemple quand on personalise le message publicitaire et qu'on le répète ou qu'on le fait évoluer selon le comportement d'une personne donnée.

Des exemples analogues existent dans d'autres secteurs. Je me faisais d'ailleurs la réflexion ces jours-ci avec l'histoire de GameStop, où de petits porteurs ont fait mordre la poussière et perdre des milliards de dollars à des hedge funds. Dans mes flux de veille et de recherche emergea un titre invitant le lecteur à lire les 10 choses qu'il ou elle devait connaître avant la fameuse "opening bell", cette cloche au son de laquelle commence la journée de trading à Wall Street. Je me fis la réflexion que le monde de la finance allait vivre la même transition sans ménagements que connurent les journalistes habitués à remettre leur papier avant une certaine heure pour l'édition du lendemain. Car en effet, si sur les marchés traditionnels on a bien des jours et des heures de trading, sur leurs successeurs électroniques du monde de la crypto-finance décentralisée à base de blockchains le trading ne s'arrête jamais. On est bien dans une réalité de trading continu 24/7, où on n'attend pas une cloche pour passer des transactions, où toutes les transactions sont accessibles ouvertement (ce qui est d'ailleurs le problème clé du Bitcoin par exemple, contrairement à ce que beaucoup pensent et disent). Et, plus important, où il n'existe pas d'opérations en dehors des heures de trading et de mois en moins de possibilités de manipuler les marchés pour spéculer à la baisse sur base de désinformation orientée. Les financiers aussi vont plonger dans la réalité digitale et le choc sera encore plus brutal qu'il ne le fut pour le monde des médias.

2016-02-27

Vers un management empathique

La vidéo qui suit (en anglais, mais le sous-titrage en français par traduction automatique marche plutôt bien) se passe de commentaires, mais elle constitue un bel exemple de quelque chose de bien concret dont l'utilisation quotidienne nous montre bien comment le design affecte l'expérience des personnes qui utilisent un produit ou un service.
Elle met en évidence deux caractéristiques que l'on recherche lorsqu'on conçoit un produit ou un service: le caractère explorable de son utilisation, qui rend possible pour la personne qui veut utiliser un objet d'en découvrir les modalités d'utilisation ("discoverability" en anglais), et le feedback, qui fournit à la personne qui utilise un produit ou un service un retour immédiat d'expérience. Pour concevoir quelque chose qui soit à la fois doté du caractère explorable ou intuitif et de feedback, il est nécessaire de se soucier de ce que sera l'expérience d'utilisation de l'objet ou du service, ce qui exige que l'on se serve d'une capacité humaine: l'empathie. Il existe des méthodes pour la mettre en œuvre que se soit pour penser une expérience en point de vente, la manière de laquelle un site e-commerce complète et co-existe avec d'autres canaux, une campagne de pub ou encore la présentation d'un business case aux décideurs d'une entreprise. Voila qui nous met sans doute sur la voie qui mène vers un management faisant plus appel à l'empathie sans toutefois que cela nous amène nécessairement au merveilleux monde des petits poneys.


2014-11-07

La spirale du silence sur les médias sociaux

Une étude de Pew Research communiquée en août dernier montre que les médias sociaux ne sont pas nécessairement le lieu d'une expression libre et sans contraintes d'opinions à propos de tous les sujets. Plus particulièrement, lorsque les sujets sont susceptibles d'aliéner l'audience ou de susciter une attention de services de sécurité, les utilisateurs de ces réseaux sociaux semblent moins disposés à faire part de leurs opinions sur des médias comme Facebook et Twitter. Les données du graphique suivant sont éclairantes à cet égard.

If the topic of the government surveillance programs came up in these settings, how willing would you be to join in the conversation?

De là à penser que l'expression des utilisateurs de médias sociaux sont fonction de ce qu'il se figurent que pourrait être la réaction de leurs contacts en ligne ou du risque qu'ils perçoivent d'être l'objet d'une attention indésirable, il n'y a qu'un pas. Du coup, la question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure les communications des utilisateurs de ces médias peuvent être utilisées telles quelles pour mesurer leur intérêt, leur opinion ou leur attitude vis-à-vis de marques, de produits ou de services. Cette recherche doit interpeler tous ceux qui travaillent dans le domaine de la réputation de marques, mais aussi ceux qui examinent les retours d'expérience de clients, bien au-delà de la question habituelle de l'intensité de partage d'une opinion selon le niveau de satisfaction du client (car nous savons qu'un client insatisfait aura plus tendance à partager son insatisfaction qu'un client satisfait n'aura tendance à partager sa satisfaction).

2014-11-06

Image de marque pays: le cas du Luxembourg

La gestion d'une marque est loin de n'être qu'un sujet réservé aux entreprises commerciales. Elle concerne aussi de plus en plus des institutions publiques et des Etats. Le cas Lux Leaks qui met sur la place publique des pratiques fiscales du Grand-Duché du Luxembourg, qui est accusé de siphonner les revenus fiscaux d'autres Etats, montre combien une gestion bancale de la marque pays peut être destructrice. En l'occurrence, l'impact sur la réputation du pays semble bien plus important que celui que subiraient les marques d'entreprises qui exploitent les "facilités" offertes par les autorités fiscales luxembourgeoises avec la complicité active et bien rémunérée de cabinets d'audit comme PwC, censés vérifier l'exactitude des comptes des entreprises en principe. Le fait est que ces cabinets emploient aussi des experts fiscaux ainsi que des personnes bien connectées avec l'administration fiscale pour faciliter les "rulings fiscaux" dont il est question dans le film suivant, particulièrement didactique et donc très dévastateur pour l'image du Luxembourg.


Comment le Luxembourg aide les entreprises à s... par lemondefr

Or, le Luxembourg bien qu'investissant de l'argent dans sa promotion, se trouve particulièrement mal équipé pour gérer ce genre de situations. Ceci est le résultat d'une combinaison de facteurs:

  • le pays exploite des méthodes de communication qui sont totalement dépassées (comme par exemple dans une émission unilatérale de messages d'auto-promotion sous forme de l'initiative Luxembourg for Business),
  • l'histoire de la marque pays est sans aspérités, très "raisonnable" et "convenable" et un peu fleur bleue (comme par exemple dans certaines des vidéos)
  • les arguments présentés dans des testimonials tendent à confirmer les aspects que le reste du monde utilise pour reprocher au Luxembourg son rôle dans l'évasion fiscale, à savoir la grande proximité et l'attitude "compréhensive" de ses dirigeants pour le monde des affaires et ses "besoins", comme par exemple dans cette vidéo
  • ses dirigeants et de son administration publique se comportent comme s'ils pensaient qu'un Etat souverain peut travailler dans son coin et enterrer tranquillement ce qui ne sent pas très bon (voir notamment la réaction tout à fait inepte du Premier Ministre du pays qui se contente de dire que les pratiques en question sont conformes au droit international, alors que là n'est pas la question), ce qui ne semble pas si évident que cela lorsqu'on regarde la couverture qu'obtient aujourd'hui le hashtag #luxleaks sur Twitter (voir widget en fin de billet).

Tout cela ne tient pas la route dans un monde ouvert et rendu très transparent par le digital où l'attention du public est rare et plus difficile à mobiliser sur ce qu'une marque veut communiquer que sur ce que cette marque voudrait cacher.





2014-07-27

Social media for a brand is not a "silo" business

Over the past couple of years scores of marketing professionals have been faced with a regrettable habit that many companies and brands have developed: a desire to be present in social media with lack of strategy that tends to be replaced by a whole discussion about tools and who will "own" them internally.
The first huge fallacy is to engage in social media thinking that it's only a channel to communicate or sell to an audience that is often thought of as "captive". There is no such thing as a captive audience these days, firstly because people are free to allocate their attention where they want consciously or not, secondly because attention is scarce and thirdly because the platforms used by people are customising the content they show to them. As a result, no brand can think about an audience as being "captive".
A second big fallacy consists of believing that the audience will stay very disciplined and only use the content a brand provides for the purposes initially intended by the brand. That is not what experience teaches as people will use any point of presence of a brand to talk about any topic that they feel in important to them from rants about the service to enquiries about job offers or activism in favour of a cause like the environment or labor conditions with subcontractors (as the fashion industry is painfully learning). So no brand can consider its presence in social media as being just for one purpose and under the authority of just one silo within its walls. By the way, the current technological environment makes those very walls porous and therefore what happens inside ends up showing outside, often in a way that is neither pretty nor in line with the company's desires.
Last, but certainly not least, is the trend that has senior decision makers in many companies completely oblivious to the fact that heated discussions about tools and platforms will never replace rigorous thinking and decisions about strategy. A tool is a tool and has to serve a business purpose; the tool is not a master.
Here is an excellent article on Forbes about how social media will not fix a broken customer service. Very good food for thought for senior execs who need to learn more about the unique ability of the Internet and its technologies to break silos and compel all functions within a company to collaborate and converge to serve customers across all facets of the business on all customer touchpoints.

L'attention, un bien précieux

Excellente interview sur l'économie de l'attention qui laisse augurer d'un ouvrage non moins remarquable.

J'ai bien aimé l'analyse de la crise financière de 2008 comme une série de défaillances de l'attention. Il y aurait beaucoup à dire également sur la boucle fermée "je fais attention à ce que j'ai apprisà valoriser et je valorise ce à quoi j'ai appris à faire attention", plus particulièrement sous l'angle de l'apprentissage, de l'éducation et de l'information, ce qui souligne encore une fois la tragédie des nombreuses défaillances médiatiques, de l'incapacité de nombre d'écoles à enseigner des structures de pensée plutôt que juste des contenus et de l'hyper-personnalisation des contenus sur certains réseaux sociaux qui nous enferme dans des bulles comme l'avait bien montré Eli Pariser dans son intervention à TED en 2011.

A lire absolument. Merci Celina Barahona d'avoir recommandé cet entretien.

2014-05-17

Une dirigeante éclairée

Au lendemain du départ regrettable de Natalie Nougayrède de la direction du journal Le Monde, il est intéressant de la réécouter dans son intervention dans la matinale de France Inter le 7 mars 2013. Elle esquisse, en effet, une vision intéressante de ce que doit être un journal comme Le Monde et comment il doit s'inscrire dans l'ère du numérique.
Natalie Nougayrède fait partie du groupe très fermé des professionnels des médias qui ont compris que le défi que pose Internet est bien moins celui d'une concurrence d'un moteur de recherche ou de blogueurs indépendants que celui de la convergence des formats médiatique. Celle-ci impose aux formats médiatiques les moins riches (presse et radio) une adaptation plus conséquente que celle à laquelle doivent se soumettre les télévisions mieux armées pour produire des contenus techniquement complexes qu'ils peuvent décliner vers les formats les moins élaborés. En quelques 14 mois de présence à la tête de ce journal elle a beaucoup oeuvré pour développer le numérique et mieux l'intégrer au coeur du métier du journal en appuyant les changements qu'impose cette nouvelle réalité aux méthodes de travail et aux habitudes des journalistes. Le travail fait pour faire des contenus des décodeurs une partie intégrante du journal (qui illustre un rôle important de fact-checking et d'explication que doivent assumer les médias au lieu de simplement courir après des chiffres d'audience en diffusant des contenus outranciers), l'effort d'intégration de blogs de qualité autour du contenu payant et la volonté d'investir l'espace des équipements portatifs (tablettes et smartphones) sont quelques unes des marques d'un grand travail malheureusement inachevé.