2014-11-07

La spirale du silence sur les médias sociaux

Une étude de Pew Research communiquée en août dernier montre que les médias sociaux ne sont pas nécessairement le lieu d'une expression libre et sans contraintes d'opinions à propos de tous les sujets. Plus particulièrement, lorsque les sujets sont susceptibles d'aliéner l'audience ou de susciter une attention de services de sécurité, les utilisateurs de ces réseaux sociaux semblent moins disposés à faire part de leurs opinions sur des médias comme Facebook et Twitter. Les données du graphique suivant sont éclairantes à cet égard.

If the topic of the government surveillance programs came up in these settings, how willing would you be to join in the conversation?

De là à penser que l'expression des utilisateurs de médias sociaux sont fonction de ce qu'il se figurent que pourrait être la réaction de leurs contacts en ligne ou du risque qu'ils perçoivent d'être l'objet d'une attention indésirable, il n'y a qu'un pas. Du coup, la question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure les communications des utilisateurs de ces médias peuvent être utilisées telles quelles pour mesurer leur intérêt, leur opinion ou leur attitude vis-à-vis de marques, de produits ou de services. Cette recherche doit interpeler tous ceux qui travaillent dans le domaine de la réputation de marques, mais aussi ceux qui examinent les retours d'expérience de clients, bien au-delà de la question habituelle de l'intensité de partage d'une opinion selon le niveau de satisfaction du client (car nous savons qu'un client insatisfait aura plus tendance à partager son insatisfaction qu'un client satisfait n'aura tendance à partager sa satisfaction).

2014-11-06

Image de marque pays: le cas du Luxembourg

La gestion d'une marque est loin de n'être qu'un sujet réservé aux entreprises commerciales. Elle concerne aussi de plus en plus des institutions publiques et des Etats. Le cas Lux Leaks qui met sur la place publique des pratiques fiscales du Grand-Duché du Luxembourg, qui est accusé de siphonner les revenus fiscaux d'autres Etats, montre combien une gestion bancale de la marque pays peut être destructrice. En l'occurrence, l'impact sur la réputation du pays semble bien plus important que celui que subiraient les marques d'entreprises qui exploitent les "facilités" offertes par les autorités fiscales luxembourgeoises avec la complicité active et bien rémunérée de cabinets d'audit comme PwC, censés vérifier l'exactitude des comptes des entreprises en principe. Le fait est que ces cabinets emploient aussi des experts fiscaux ainsi que des personnes bien connectées avec l'administration fiscale pour faciliter les "rulings fiscaux" dont il est question dans le film suivant, particulièrement didactique et donc très dévastateur pour l'image du Luxembourg.


Comment le Luxembourg aide les entreprises à s... par lemondefr

Or, le Luxembourg bien qu'investissant de l'argent dans sa promotion, se trouve particulièrement mal équipé pour gérer ce genre de situations. Ceci est le résultat d'une combinaison de facteurs:

  • le pays exploite des méthodes de communication qui sont totalement dépassées (comme par exemple dans une émission unilatérale de messages d'auto-promotion sous forme de l'initiative Luxembourg for Business),
  • l'histoire de la marque pays est sans aspérités, très "raisonnable" et "convenable" et un peu fleur bleue (comme par exemple dans certaines des vidéos)
  • les arguments présentés dans des testimonials tendent à confirmer les aspects que le reste du monde utilise pour reprocher au Luxembourg son rôle dans l'évasion fiscale, à savoir la grande proximité et l'attitude "compréhensive" de ses dirigeants pour le monde des affaires et ses "besoins", comme par exemple dans cette vidéo
  • ses dirigeants et de son administration publique se comportent comme s'ils pensaient qu'un Etat souverain peut travailler dans son coin et enterrer tranquillement ce qui ne sent pas très bon (voir notamment la réaction tout à fait inepte du Premier Ministre du pays qui se contente de dire que les pratiques en question sont conformes au droit international, alors que là n'est pas la question), ce qui ne semble pas si évident que cela lorsqu'on regarde la couverture qu'obtient aujourd'hui le hashtag #luxleaks sur Twitter (voir widget en fin de billet).

Tout cela ne tient pas la route dans un monde ouvert et rendu très transparent par le digital où l'attention du public est rare et plus difficile à mobiliser sur ce qu'une marque veut communiquer que sur ce que cette marque voudrait cacher.





2014-07-27

Social media for a brand is not a "silo" business

Over the past couple of years scores of marketing professionals have been faced with a regrettable habit that many companies and brands have developed: a desire to be present in social media with lack of strategy that tends to be replaced by a whole discussion about tools and who will "own" them internally.
The first huge fallacy is to engage in social media thinking that it's only a channel to communicate or sell to an audience that is often thought of as "captive". There is no such thing as a captive audience these days, firstly because people are free to allocate their attention where they want consciously or not, secondly because attention is scarce and thirdly because the platforms used by people are customising the content they show to them. As a result, no brand can think about an audience as being "captive".
A second big fallacy consists of believing that the audience will stay very disciplined and only use the content a brand provides for the purposes initially intended by the brand. That is not what experience teaches as people will use any point of presence of a brand to talk about any topic that they feel in important to them from rants about the service to enquiries about job offers or activism in favour of a cause like the environment or labor conditions with subcontractors (as the fashion industry is painfully learning). So no brand can consider its presence in social media as being just for one purpose and under the authority of just one silo within its walls. By the way, the current technological environment makes those very walls porous and therefore what happens inside ends up showing outside, often in a way that is neither pretty nor in line with the company's desires.
Last, but certainly not least, is the trend that has senior decision makers in many companies completely oblivious to the fact that heated discussions about tools and platforms will never replace rigorous thinking and decisions about strategy. A tool is a tool and has to serve a business purpose; the tool is not a master.
Here is an excellent article on Forbes about how social media will not fix a broken customer service. Very good food for thought for senior execs who need to learn more about the unique ability of the Internet and its technologies to break silos and compel all functions within a company to collaborate and converge to serve customers across all facets of the business on all customer touchpoints.

L'attention, un bien précieux

Excellente interview sur l'économie de l'attention qui laisse augurer d'un ouvrage non moins remarquable.

J'ai bien aimé l'analyse de la crise financière de 2008 comme une série de défaillances de l'attention. Il y aurait beaucoup à dire également sur la boucle fermée "je fais attention à ce que j'ai apprisà valoriser et je valorise ce à quoi j'ai appris à faire attention", plus particulièrement sous l'angle de l'apprentissage, de l'éducation et de l'information, ce qui souligne encore une fois la tragédie des nombreuses défaillances médiatiques, de l'incapacité de nombre d'écoles à enseigner des structures de pensée plutôt que juste des contenus et de l'hyper-personnalisation des contenus sur certains réseaux sociaux qui nous enferme dans des bulles comme l'avait bien montré Eli Pariser dans son intervention à TED en 2011.

A lire absolument. Merci Celina Barahona d'avoir recommandé cet entretien.

2014-05-17

Une dirigeante éclairée

Au lendemain du départ regrettable de Natalie Nougayrède de la direction du journal Le Monde, il est intéressant de la réécouter dans son intervention dans la matinale de France Inter le 7 mars 2013. Elle esquisse, en effet, une vision intéressante de ce que doit être un journal comme Le Monde et comment il doit s'inscrire dans l'ère du numérique.
Natalie Nougayrède fait partie du groupe très fermé des professionnels des médias qui ont compris que le défi que pose Internet est bien moins celui d'une concurrence d'un moteur de recherche ou de blogueurs indépendants que celui de la convergence des formats médiatique. Celle-ci impose aux formats médiatiques les moins riches (presse et radio) une adaptation plus conséquente que celle à laquelle doivent se soumettre les télévisions mieux armées pour produire des contenus techniquement complexes qu'ils peuvent décliner vers les formats les moins élaborés. En quelques 14 mois de présence à la tête de ce journal elle a beaucoup oeuvré pour développer le numérique et mieux l'intégrer au coeur du métier du journal en appuyant les changements qu'impose cette nouvelle réalité aux méthodes de travail et aux habitudes des journalistes. Le travail fait pour faire des contenus des décodeurs une partie intégrante du journal (qui illustre un rôle important de fact-checking et d'explication que doivent assumer les médias au lieu de simplement courir après des chiffres d'audience en diffusant des contenus outranciers), l'effort d'intégration de blogs de qualité autour du contenu payant et la volonté d'investir l'espace des équipements portatifs (tablettes et smartphones) sont quelques unes des marques d'un grand travail malheureusement inachevé.


2014-03-19

Management atypique

L'enseignement de la gestion d'entreprises se fonde souvent sur des principes théoriques probablement excitants pour leurs auteurs sur le plan conceptuel, mais très éloignés d'une approche pragmatique d'une activité. Il est donc rafraîchissant de voir des cas de management atypique comme celui de la fonderie FAVI dans la vidéo ci-dessous, Morningstar aux Etats-Unis ou encore Semco au Brésil. La question qui se pose, au fond, est celle de savoir si les personnes humaines qui travaillent dans une entreprise doivent laisser leur personnalité et leur âme à l'entrée le matin pour endosser le déguisement de l'automate interfacé à un quelconque progiciel de gestion supposé permettre à l'entreprise de réduire tous les risques à commencer par celui de dépendre de personnes précises. Par extension il faut donc se demander comment utiliser les technologies modernes et comment accomplir la transition numérique dans une entreprise; il n'est pas dit que l'automatisation et la procédurisation des tâches soit la meilleure voie pour réussir dans des économies de plus en plus changeantes et imprévisibles.

2014-02-18

Crise de la presse: l'analyse erronée de la situation

Les décideurs historiques autant que les journalistes réfractaires au digital ont commis de graves erreurs d'appréciation au moins à deux niveau: d'une part la vision d'un "ogre" Internet qui devait cannibaliser la presse (ce qui n'est pas sans rappeler les analyses de gros cabinets de conseil au début des années 2000 sur la "disparition inéluctable" des agences bancaires) et, d'autre part, l'idée d'une concurrence frontale dans un jeu à somme nulle où les gains du numérique seraient fondés sur les pertes du papier.
Au-delà du caractère profondément erroné de l'analyse stratégique, il semble impossible aux acteurs de la presse de concevoir ne serait-ce que le concept de design d'expérience utilisateur, qui est un élément stratégique de leur mission actuelle, qu'ils le veuillent ou non. Du coup, ils sont aussi dans la grande incapacité de regarder le monde avec les yeux de leurs lecteurs, à regarder autre chose que leur nombril car c'est sans doute le seul métier sur la planète qui envisage sa mission professionnelle sous l'angle de la "monétisation de l'audience".
Non, mesdames et messieurs, votre mission n'est pas de monétiser l'audience, monétiser l'audience n'est pas un objectif stratégique. Ce n'est pas votre coeur de métier pas plus ce n'est le coeur de métier d'un taxi de "monétiser" la population des piétons d'une ville; la mission d'un taxi est d'offrir un service de transport personnalisé à des conditions acceptables. La vôtre (si vous l'acceptez) est de nous fournir le contenu le plus clair, le plus vérifié, le plus pertinent, le plus qualitatif possible en garantissant une impartialité totale dans le traitement de l'information (ce qui passe aussi par le fait de bien vouloir nous dire quand vous publiez un article dithyrambique sur une société appartenant à vos actionnaires). Non, vous n'êtes pas en concurrence avec les diffuseurs de contenus gratuits pas plus que Canal+ n'était en concurrence avec TF1 à son lancement (et encore aujourd'hui). Par contre, vous faites un bien mauvais travail d'explication et de vente de votre salade.